En établissant l’irrégularité de la composition du tribunal arbitral, la Cour de cassation a défait le jugement qui condamnait le Port autonome de Douala à payer 58,6 millions d’euros à l’industriel breton.
La Cour de cassation française a tranché en faveur du Port autonome de Douala (PAD), le plus important d’Afrique centrale, dans son arrêt du mercredi 19 juin au sujet d’un contentieux commercial qui l’oppose depuis cinq ans à une ancienne filiale du groupe Bolloré, Douala International Terminal (DIT). Elle casse la décision de la Chambre de commerce internationale (CCI) de Paris, qui avait condamné en novembre 2020 le PAD à payer 58,6 millions d’euros à la filiale du groupe français au titre de réparation de divers « préjudices ».
Le conflit a débuté le 16 septembre 2019, lorsque le PAD a décidé de ne pas renouveler la concession du terminal à conteneurs du consortium Bolloré Transport & Logistics (BTL) et APM Terminal (APMT), filiale de l’armateur danois Mærsk. Après quinze ans d’exploitation, Douala International Terminal avait perdu sa position privilégiée sur la capitale économique camerounaise, au profit de l’opérateur italo-suisse Terminal Investment Limited (TIL), filiale de Mediterranean Shipping Company (MSC).
S’en était suivie une procédure d’arbitrage introduite à la CCI de Paris par le groupe Bolloré, qui estimait que le processus avait été conduit à son désavantage. La haute juridiction française a donc cassé la décision de 2020, établissant que le tribunal arbitral était composé de manière irrégulière et qu’il existait des connivences entre l’un de ses juges et un avocat du groupe Bolloré.
Le « haut arbitrage » de Paul Biya
Le renouvellement de la concession du terminal à conteneurs du port de Douala a été au cœur d’une véritable guerre d’influence dont le groupe Bolloré est devenu maître sur le continent. Alors que la direction du PAD annonçait le remplacement du consortium BTL/APMT par l’opérateur italo-suisse, Cyrille Bolloré, à qui son père a transmis la direction du groupe familial en 2019, avait personnellement écrit en septembre au président camerounais Paul Biya, pour solliciter « son haut arbitrage ».
Dans sa lettre, le PDG français rappelait l’importance de son groupe au Cameroun, actif dans les secteurs des transports et de la communication, des médias, de l’énergie et de l’agriculture avant de demander au chef de l’Etat d’intervenir « pour que l’accord signé avec le port de Douala le 4 octobre 2017 soit mis en œuvre ; cette mise en œuvre permettrait de faciliter le lancement du port de Kribi en mettant en place une synergie entre les deux ports, de solder amiablement tous les différends opposants le PAD et DIT et enfin de relancer sereinement un appel d’offres de la concession, sur des bases équitables ». Il signe en lui adressant les « souvenirs très amicaux de Vincent Bolloré ».
En février 2021, Vincent Bolloré a reconnu sa culpabilité dans le cas d’une procédure particulière pour des faits de « corruption active d’agent public étranger » et « complicité d’abus de confiance » dans plusieurs pays d’Afrique. Le groupe français était soupçonné d’avoir pris à sa charge des prestations d’Havas, filiale de Vivendi, à l’occasion des campagnes électorales du président togolais, Faure Gnassingbé, et du président guinéen, Alpha Condé – chassé du pouvoir en septembre 2021 par un coup d’Etat –, en échange d’avantages concernant les ports de Lomé et de Conakry.
Présence drastiquement réduite
Depuis décembre 2022, la présence sur le continent de la multinationale a été drastiquement réduite. L’entreprise a cédé l’ensemble des activités de transport et de logistique de Bolloré Africa Logistics pour une valeur de 5,7 milliards d’euros à la famille Aponte, propriétaire de MSC. L’entreprise française reste cependant engagée sur le continent, notamment avec Canal+ et ses activités médias.
C’est en 1986 que M. Bolloré avait commencé à bâtir ses activités africaines avec le rachat au Cameroun de la Compagnie financière de Suez, une entreprise de logistique installée dans le pays depuis les années 1940. Il a d’abord investi dans les plantations de palmiers à huile et a remporté en 2004, avec Mærsk, la concession du terminal à conteneurs de Douala. En 2015, Kribi Conteneurs Terminal (KCT), une filiale du groupe, a décroché l’exploitation du terminal du port de Kribi, en association avec la China Harbour Engineering Company et la Compagnie maritime d’affrètement-Compagnie générale maritime (CMA-CGM) française. Aujourd’hui l’homme d’affaires breton est sous le coup d’une enquête à Paris du Parquet national financier (PNF) pour d’autres faits de corruption après une plainte déposée par le Camerounais Philémon Mendo, un ancien directeur général adjoint de Kribi Conteneurs Terminal.
Ces dernières années, les affaires ont entaché l’image de l’entreprise. Outre les faits de corruption, la multinationale est poursuivie en France par 145 Camerounais de la région de Kribi, dans le sud du pays, dans un dossier qui a trait aux conditions d’exploitation d’huile de palme. Malgré un revers le 7 janvier 2022, la procédure continue. Cette affaire, lancée à la fin de l’année 2010, est distincte de celle initiée en 2019 par dix ONG françaises, dont Sherpa, qui avaient assigné le groupe Bolloré pour n’avoir pas respecté un contrat signé avec des villageois en 2013. Une affaire qui poursuit parallèlement son cours.